INFILTRATIONS : LE DIABLE OU LE BON DIEU ?

DR OLIVIER ROSSIGNOL, PRÉSIDENT DE LA FFR

« Tu vas chez ton rhumato ? Il va te faire des infiltrations ! ». Cette blague -du siècle dernier- nous rappelle que l’infiltration est (était, plutôt) le coeur de métier de la rhumatologie.

De nos jours, dans un village de Provence, Renaud, cinquante-cinq ans, est un passionné de randonnée et il passe ses week-ends à explorer les sentiers sinueux des collines environnantes. Mais, un jour, après une longue marche, voilà qu’il ressent une douleur lancinante dans son genou droit. Au début, il n’y prête pas attention, pensant que c’était simplement la fatigue. Cependant, la douleur persiste et dure, avec une boiterie jusqu’à le forcer à abandonner ses promenades.

Inquiet, Renaud a pris rendez-vous avec son médecin, le docteur Hardisk, un homme à l’écoute et réputé pour son expertise. Après un examen et quelques tests, le praticien annonce : « Renaud, vous souffrez probablement d’une arthrose au genou. C’est courant à votre âge, mais ne vous inquiétez pas, il existe des solutions ». Le docteur Hardisk lui expliqua les différents traitements possibles. « Cependant, le plus sûr, c’est de vous mettre au repos, et même de prendre une canne pour marcher ; deux cannes, c’est encore mieux… cela pourrait vous aider à retrouver le plaisir de randonner », ajouta-t-il avec un sourire encourageant. « Mais, Docteur, n’y a-t-il pas des solutions plus rapides ? Des infiltrations intra-articulaires, par exemple. - Je ne vous le conseille pas. Cette procédure, où un médicament anti-inflammatoire est injecté directement dans l’articulation pour soulager la douleur et améliorer la mobilité, ne me dit rien qui vaille ».

Hésitant mais motivé par sa passion pour la randonnée, Renaud se renseigna sur ce traitement avant de retourner chez son médecin. Celui-ci resta
intraitable. « Vous vous rendez compte, c’est de la cortisone, ça va vous empoisonner. - Mais, Docteur, je n’en suis pas aussi sûr que vous, je me suis renseigné : une infiltration contient sept milligrammes de bétaméthasone, c’est l’équivalent d’à peu près trente milligrammes de cortisone. Autrefois, ça se faisait en trois séances, rapprochées d’une semaine. Mon père en avait eu, et ça lui avait fait beaucoup de bien. Comptez, ça ne fait même pas la quantité que vous avez prescrite à mon fils cet hiver pour sa sinusite ! ».

Devant l’obstination du praticien, Renaud comprit que celui-ci connaissait les infiltrations uniquement par ouï-dire, et qu’il était donc plus sensible aux bobards, circulant çà et là, qu’à des arguments objectifs. Il finit, non sans mal, par trouver un rhumatologue acceptant de tenter l’infiltration. Le jour de la procédure, il entra dans le cabinet du médecin, un peu nerveux. « C’est simple, rapide et peu douloureux », le rassura le médecin. « Vous serez surpris de la différence que cela peut faire. ». Avec soin, le médecin nettoya la zone autour du genou, puis injecta le médicament. Renaud ressentit une légère piqûre, mais rien de plus. Après quelques minutes, il se leva, inquiet mais curieux de savoir si cela fonctionnerait. Le docteur Leweb lui conseilla de se reposer et d’éviter les efforts pendant quelques jours. « Et pour la prochaine piqûre, Docteur ? – non, non, non, on va attendre de voir ce que donne celle-ci. – Mais ça va recommencer, le produit est prévu pour en faire plusieurs ! – On verra bien… ». Les jours passèrent et, peu à peu, Renaud remarqua une différence. La douleur diminuait, et il pouvait de nouveau plier son genou sans grimacer. Encouragé, il décida de reprendre ses randonnées, mais avec prudence. Lors de sa première sortie, il choisit un sentier facile, mais la joie qu’il éprouva en foulant le sol d’un chemin qu’il connaissait par coeur était indescriptible.

Il se mit à sortir chaque week-end, découvrant de nouveaux paysages et redécouvrant les plaisirs simples de la nature. À chaque pas, il remerciait le docteur Leweb pour son intervention.

Cependant, au fil des semaines, la douleur réapparut. Renaud, déterminé à ne pas laisser cette nouvelle gêne l’arrêter, retourna chez le rhumatologue. « Je crains que votre arthrose ne soit trop avancée », expliqua le docteur Leweb après un nouvel examen. « Je vais vous faire une autre infiltration, mais si ça refait la même chose, c’est la prothèse. » Renaud, fort de sa première expérience positive, accepta sans hésitation, du moins la première partie de cette proposition. La procédure fut similaire, et après quelques jours de repos, il se sentit à nouveau soulagé. Mais évidemment, au bout d’un moment la douleur revint.

« Et si on avait fait une série de trois injections, comme autrefois ? – Je ne fais pas ça, vous vous rendez compte du coût pour la Sécu, on va m’accuser de multiplier les actes ! Tout ça pour des randonnées… Mais Docteur, si je dois faire un arrêt de travail et marcher avec des cannes, ça lui coûtera bien plus cher ! ».

Rien à faire. Et en plus, quand Renaud raconte ça à ses amis, c’est lui qu’on prend pour un fou. Moralité : comment un traitement utilisé des millions de fois depuis cinquante ans, efficace, peu dangereux et ne coûtant que quelques euros la boîte, avec un protocole à l’époque bien maîtrisé et sûr, peut-il de nos jours être devenu quasiment tabou, même chez les rhumatologues ?

Bien sûr, les vieux ça trouve toujours que c’était mieux avant, c’est même à ça qu’on les reconnait. Mais quand même, comme disait l’autre, le temps ne fait rien à l’affaire…