Editorial de Éric Gibert, Président de la FFR

« IL FAUT LAISSER SIMPLEMENT LES GENS FAIRE LEUR BOULOT »

En ce mois de décembre 2020, en vue d’alimenter notre réflexion sur la refonte post-Covid de notre système de soins, plusieurs informations se sont télescopées. Pour mémoire, Gilles Johannet président de la CNAM en 1996, et sous l’impulsion d’une économiste de la Santé, Béatrice Majnoni d’Intignano, fervente partisane du système anglais, instaurait avec le gouvernement Juppé une nouvelle organisation de notre système de santé à l’anglaise. Des mesures de réduction des dépenses ont été prises : MICA, fermeture des écoles d’infirmières, maintien d’un numerus clausus à 3500, l’Ondam, les ARH, la disparition programmée des spécialités de ville.
Huit ans plus tard, en 2004 les Canadiens installaient ce mode d’organisation dans leur pays et venaient chez nous vanter ce bouleversement porteur de cette recette universelle répétée comme un mantra partout dans le monde : réduire les dépenses et optimiser le fonctionnement du système de santé.

La 1re information apparaît dans www.lapresse.ca, journal canadien, deux spécialistes dans le domaine de la santé en font le bilan : en 16 ans, ce système a démontré ce qu’il ne fallait pas faire et tout est dit !
Ci-dessous un extrait éloquent et d’actualité :
La centralisation des pouvoirs de gouvernance pérennisée par la réforme Barrette (2015) a entraîné la disparition d’instances participatives dont la mission assurait une cohérence entre les besoins populationnels et les orientations ministérielles. Il en résulte un déficit démocratique dans nos institutions publiques.
Les mauvaises conditions de travail et les valeurs industrielles promues par les établissements ont créé une profonde crise de sens chez les intervenants. Rappelons qu’à l’automne 2019, avant la pandémie, nous avons appris que 24 % des intervenants songeaient à quitter définitivement leur profession.En France, l’accumulation des différents plans : HPTS de Bachelot en 2009 puis les mesures de Touraine, toutes issues des mêmes modes de pensée, s’est imposée, sans entendre les acteurs de terrain.


La 2e information provient d’un article de Brigitte Dormont, la nouvelle économiste de la santé en vogue au ministère depuis Marisol Touraine, publié dans l’hebdomadaire Challenges fin novembre. Elle apporte son point de vue pour l’après Covid et sa vision économique des sur-dépenses, en utilisant la métaphore du financement en silo des hôpitaux d’un côté et de la médecine de ville de l’autre et le manque de lien entre eux.
Elle continue de promouvoir le système étatique d’enveloppe budgétaire par territoire dans lequel on engloberait la médecine de ville, les cliniques, les hôpitaux et les établissements médico-sociaux.
Mme Dormont évoque les hôpitaux en surchauffe sans se poser la question de savoir pourquoi il n’y a plus de médecins qui s’installent en libéral, écœurés par les charges administratives, l’accumulation de contraintes imposées sans concertation, le peu de reconnaissance de leur travail et donc des d’acteurs qui ne sont plus motivés pour la médecine d’urgence en libéral, d’où la surchauffe des urgences. Et ajoutons que depuis plusieurs années, nos hôpitaux ferment des lits et ne renouvellent pas leur personnel alors que notre population s’est agrandie et la société est devenue vieillissante et plus exigeante.

Nombre d’entre nous ont crié leur désaccord et la Covid nous a brutalement conduits dans le mur des réalités. Mais elle a aussi ouvert les yeux à nos dirigeants en apportant des voies de changement.

Mais la technostructure, consciente que politiquement elle doit écouter les médecins libéraux, et grâce à l’aide de certains syndicats, a mis en place en 2019 les CPTS, fer de lance de ce projet de territorialisation, très dépendants du financement de l’assurance maladie et sous le contrôle des ARS.
Nouvel échelon administratif, le mille-feuille s’épaissit ! Le rôle des ARS pendant la 1re vague a été très discuté : l'intégration trop lente des cliniques privées dans l’organisation, la lenteur dans la prise des décisions malgré les demandes du terrain, l’acceptation compliquée des maisons Covid créées par des MG, pourtant très réactifs et rapides dans la prise en charge des patients, plus souples que les systèmes hiérarchisés, l’articulation des urgences autour du 15, la distribution des masques, etc.

La 3e information éclairante est ce film sur le fonctionnement de la Pitié-Salpêtrière pendant la 1re vague diffusé sur France 5 : « Quand l’hôpital retient son souffle ». Nous découvrons magnifiquement comment les professionnels ont pris en main leurs activités, en ont débattu en intégrant tous les professionnels : beaucoup d’humanité, d’empathie et des décisions prises conjointement sans autoritarisme.
L’administration a dû suivre sans discuter, les soignants ont retrouvé une pratique autour du soin aux malades, la possibilité d’obtenir les adaptations choisies par eux presque immédiatement : une vraie autonomie des acteurs de terrain.
Je vous invite à découvrir dans ce film comment une personne administrative est partie car payée 1 300 euros par mois sans reconnaissance, laissant un service désorganisé.
Plus il y a d’échelons, plus c’est lourd administrativement, plus les capacités d’adaptation disparaissent et ce système a failli exploser, mais heureusement en période de pénuries le terrain a trouvé les solutions et les a mises en œuvre : c’est, à mon sens, là que réside la véritable économie financière.
Le manque de moyen a obligé le personnel soignant à se poser les bonnes questions, à réduire les gaspillages sans mettre en danger les patients et les soignants, mais cela impose aussi la nécessaire présence d’un personnel de santé en nombre et correctement payé.
Mais réduire au maximum la technostructure et laisser de l’autonomie aux acteurs de terrain, leur permettre de résoudre eux-mêmes leurs difficultés en fonction de chaque région par exemple, cela existe !
Un organisme néerlandais de soins à domicile Buurtzorg créé par Jos de Block a pris une place considérable dans le domaine de santé néerlandais. Ce patron a été plusieurs fois élu meilleur patron de l’année. (Humanité de Rutger Bregman, p. 285). Que résume-t-il de sa pensée : « Le management c’est de la foutaise. Il faut laisser simplement les gens faire leur boulot ». C’est donc possible, prenons notre part dans ce changement, mais pour cela, il faudrait que chacune des parties qui compose notre système de soins regarde le côté positif de l’autre et soit prête à dialoguer sans préjugés.

Exerçant à l’hôpital et en cabinet privé, je connais bon nombre de soignants qui sont prêts à suivre cette démarche !

Humanité de Rutger Bregman
Le système de santé québécois mis en échec
Le système de santé québécois mis en échec
Quand l’hôpital retient son souffle sur France 5
Quand l’hôpital retient son souffle sur France 5

Éric Gibert
Président de la FFR

Le Rhumatologue - No. 106
No. 106 Décembre 2020

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