ARTHROPATHIES INTERPHALANGIENNES DISTALES : ANALYSE ÉLÉMENTAIRE
PR JACQUES MALGHEM - CLINIQUES UNIVERSITAIRES SAINT-LUC, UCLOUVAIN, BRUXELLES
L'atteinte d'une articulation interphalangienne distale (IPD) constitue souvent une énigme.En voici quatre exemples illustratifs (figure 1) dont nous allons rechercher les clés à partir de principes très simples |
Établir le diagnostic radiologique d'une arthropathie, nécessite plusieurs méthodes complémentaires :
▸une connaissance de la nosologie des affections, bien connue en principe des rhumatologues,
▸et une "analyse élémentaire" des images, à ne pas comprendre comme "analyse sommaire", mais comme "analyse des éléments de l'image". L'aspect des interlignes articulaires est un élément pri-mordial. Il constitue la base première du diagnostic dif-férentiel "arthrose-arthrite" :
• la décompensation mécanique du cartilage est typi-quement située en zone de contraintes dominantes. Un pincement asymétrique de l'interligne est le signe le plus spécifique de l'arthrose. Puis quand survient une destruction osseuse, elle se produit électivement aussi dans la zone de destruction cartilagineuse (figure 2).
• En revanche, la destruction cartilagineuse enzymatique dans l'arthrite est globale. Un pincement diffus de l'inter-ligne est donc la règle. Quand survient une destruction osseuse d'origine synoviale, elle se produit d'abord en territoire marginal, dans les territoires osseux intra-arti-culaires non protégés par du cartilage (zones d'"os nu"1), L'érosion marginale est le signe le plus spécifique d'une atteinte articulaire inflammatoire(figure 3).
▸ CAS No 1 |
• Dans cette première arthropathie (figure 4), le pin-cement de l'interligne est homogène, ce qui pourrait plaider a priori pour une arthropathie inflammatoire. Cependant, dans les arthroses interphalangiennes, la règle du pincement asymétrique des interlignes peut être prise en défaut, probablement parce que ces arti-culations sont très petites et que les contraintes finale-ment y sont globales. Mais cette arthropathie n'est pas non plus une arthropathie typiquement inflammatoire puisqu'il n'y a pas d'érosion marginale.
• Alors, astuce numéro 1 : quand une image radiologique est de signification ambiguë, il faut regarder ailleurs !
• Dans le présent exemple, les pincements des inter-lignes de plusieurs autres articulations sont très typi-quement asymétriques (flèches noires en figure 5).
De plus, les lésions destructrices osseuses sont typique-ment des érosions de surface (flèches oranges). L'aspect global des arthropathies permet donc de conclure à une arthrose à tendance érosive.
• Notez aussi que les abrasions des surfaces prédominent dans la portion centrale des têtes phalangiennes et dans les portions plus latérales des bases phalangiennes cor-respondantes. Ces distributions particulières résultent de l'anatomie des cartilages des articulations IP (figure 6)2.
▸ CAS No 2 |
• À première vue, l'aspect de cette autre arthropathie (figure 7) ne diffère guère de celui de l'IPD de l'annu-laire du cas précédent.
• Mais en regardant ailleurs, on peut noter dans d'autres articulations des chondrolyses homogènes et une petite érosion marginale, caractéristique d'une pa-thologie synoviale agressive, ainsi que des signes d'hy-perostose réactionnelle de voisinage orientant vers la famille des spondyloarthrites (figure 8), en l'occurrence d'un rhumatisme psoriasique chez ce patient.
• Chez des patients atteints de rhumatisme psoriasique très actif, les érosions et les hyperostoses sont parfois beaucoup plus intenses et plus floues (os réactionnel plus immature) (figure 9).
▸ CAS No 3 |
• C'est une arthropathie (figure 10a) d'aspect proche des deux précédentes, avec un pincement homogène de l'interligne de l'IPD.
• Mais des érosions profondes dans les surfaces arti-culaires de l'IPD du médius gauche ne correspondent ni aux érosions marginales spécifiques des synovites agressives, ni aux abrasions de surface ou géodes sous-chondales arrondies des arthropathies cartilagineuses. En regardant ailleurs (figure 10b), on peut voir d'autres atteintes digitales et des tuméfactions des poi-gnets, dont l'analyse "élémentaire" montre des carac-tères particuliers.
• Des articulations comportent des érosions marginales de localisations de type synovial inflammatoire, mais aussi des érosions juxta- ou para-articulaires déca-lées au delà des limites strictes des cavités articulaires (figure 11a). En outre, des érosions bien circonscrites, "à l'emporte pièce", suggèrent l'expansion dans les érosions osseuses d'un tissu modérément agressif. De façon subtile, une érosion marginale montre même des signes d'expansion intra-osseuse soulevant le contour cortico-périosté adjacent (figure 11b).
• Le signe des "marges osseuses en surplomb", très typique de la goutte, a été décrit par Martel en 1968 (figure 12a)3. Cet aspect suggère une expansion pro-gressive du tophus à l'intérieur même de l'os. Dans des cas extrêmes, cette expansion peut prendre carrément un "aspect tumoral" (figure 12b). Ces aspects particuliers résultent de ce que les dépôts goutteux : 1) ne sont pas confinés à une localisation synoviale exclusive, mais peuvent être situés en territoires juxta- ou même para-articulaires, 2) que les accumulations tissulaires des tophus peuvent s'expanser dans les érosions osseuses à l'instar de pro-cessus tumoraux.
• Autre particularité des arthropathies goutteuses : les tuméfactions des tophus juxta-articulaires sont très souvent de distribution asymétrique (figure 13a). Ces tuméfactions présentent en outre une hyperden-sité, discrète sur la radiographie, mais évidente en tomodensitométrie (figure 13b). Elle est de densité de type calcique modérée, de l'ordre de 160-170 Unités Hounsfield. Pour comparaison, tendon = 70, os corti-cal (et apatite compact) = 1 000. Le scanner est donc un très bon instrument pour identifier formellement des tophus goutteux chroniques4. Des scanners récents à double énergie sont encore plus sensibles et spéci-fiques pour l'acide urique, mais sont sujets à des arte-facts pouvant créer des faux positifs5.
▸ CAS No 4 |
• Cette image est un piège (figure 14). Il y a des érosions aux marges de l'articulation, comme dans une arthro-pathie inflammatoire, un remaniement osseux dans des territoires d'insertions capsulo-ligamentaires comme dans des enthésopathies, mais il y a aussi une résorp-tion de la surface corticale de la houppe phalangienne et une discrète résorption sous-périostée au versant radial de la 2e phalange.
Ces résorptions osseuses de surface sont typiques d'une hyperparathyroïdie6, liée chez ce patient à une insuffi-sance rénale.
• L'accélération de la résorption osseuse portait aussi sur des territoires d'insertions tendineuses, notamment des ischio-jambiers et du psoas. Ces lésions se reconstruisent après guérison de l'hyperparathyroïdie (figure 15).
RÉFÉRENCES
◆ 1.Martel W, Hayes JT, Duff IF. The pattern of bone érosion in the hand and wrist in rheumatoid arthritis. Radiology. 1965; 84:204-14.
◆ 2.Martel W, Stuck KJ, Dworin AM, Hylland RG. Erosive osteoarthritis and psoriatic arthritis: a radiologic comparison in the hand, wrist, and foot. AJR Am J Roentgenol. 1980; 134:125-35.
◆ 3.Martel W. The Overhanging Margin of Bone: A Roentgenologic Manifestation of Gout. Radiology. 1968; 91:755-756.
◆ 4.Malghem J, Vande berg B, Lecouvet F, Maldague B, Devogelaer JP. Goutte d’hier et d’aujourd’hui. Feuillets de Radiologie. 2004; 44:124-132,
◆ 5.Omoumi P, Zufferey P, Malghem J, So A. Imaging in Gout and Other Crystal-Related Arthropathies. Rheum Dis Clin North Am. 2016; 42:621-644.
◆ 6.Resnick D., Niwayama G. Subchondral resorption of bone in renal osteodystrophy. Radiology. 1976; 118:315–321.