LE CORPS HUMAIN, RÉVÉLATEUR DE PREUVES EN MATIÈRE PÉNALE
JEAN GUIGUE - PRÉSIDENT HONORAIRE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY ANCIEN PROFESSEUR ASSOCIÉ À L’UNIVERSITÉ DE PARIS XIII
Pendant des décennies l’aveu spontané ou obtenu sous la torture a été considéré comme la reine des preuves. Par la suite les progrès scientifiques ont fourni aux enquê-teurs des outils pour leur permettre d’obtenir des résultats difficilement contestables.Parmi ces découvertes, citons depuis l’exploitation des em-preintes digitales à partir de 1913, l’analyse sanguine, la ba-listique, l’ADN et bien d’autres.En matière criminelle le corps humain, que ce soit celui de la victime ou de son agresseur, permet de recueillir des indices utiles à la manifestation de la vérité.La manipulation du corps humain a cependant des limites. Le respect du corps humain et sa dignité sont rappelés par les articles 16 et suivants du code civil. Ces principes sont aussi exprimés par la formule évangélique « noli me tangere ».Il y a lieu de distinguer les prélèvements externes peu agressifs des prélèvements internes qui peuvent l’être davantage.Le Conseil Constitutionnel a précisé dans sa décision du 13 mars 2003 ce qu’il fallait en-tendre par prélèvement externe. Il s’agit « d’un prélèvement n’impliquant aucune intervention corporelle interne, ne comportant donc aucun procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la dignité des intéressés »Répondent à cette définition la prise d’empreintes digitales, les prélèvements de cheveux. En revanche, les prises de sang ou la recherche de produits stupéfiants ingérés sont des opé-rations internes nécessitant le plus souvent l’intervention d’un médecin.
LES PRÉLÈVEMENTS EXTERNES
Les officiers de police judiciaire peuvent procéder ou faire procé-der à des prélèvements externes sur toute personne soupçonnée d’avoir commis ou sur le point de commettre une infraction : prise d’empreintes digitales, de cheveux, ou photographies nécessaires à la consultation de fichiers. La per-sonne peut refuser de se soumettre à ces investigations. Elle encourt généralement une peine d’amende même si le texte applicable pré-voit une peine d’emprisonnement.
PRÉLÈVEMENTS INTERNES
Les prélèvements corporels ont la plupart du tempspour objet, la recherched’alcool ou de stupéfiants. |
Fréquents en matière de contrôles routiers (pour qualifier l’infraction de délit ou de contravention) des prises de sang peuvent aussi être demandées ou imposées dans des circonstances diverses sous la me-nace de sanctions.
En règle générale, les prélèvements biologiques peuvent être refusés. Le refus est alors érigé en infrac-tion punie des peines d’amendes et d’emprisonnement. L’urgence nécessite parfois des prélèvements sous contrainte nonobstant l’ab-sence ou le refus de consentement des intéressés.
C’est en ce sens que la Cour de cas-sation a fait évoluer sa jurispru-dence à l’occasion d’une affaire pour le moins surprenante (Cass. 31 mars 2020) : une altercation oppose un chirurgien et un anesthésiste après une intervention de chirurgie esthétique. Le différend porte sur le choix d’un produit à administrer à la patiente. Les médecins en viennent aux mains et des coups sont échan-gés. La directrice de l’établissement fait appel à la police qui, constatant que ces derniers tenaient des pro-pos incohérents, fait procéder à des prises de sang aux fins de preuve de la prise de produits stupéfiants.
Condamnés les médecins relèvent appel de cette décision en invo-quant leur absence de consente-ment préalable à la prise de sang. Ils sont condamnés.
L’admission d’un consentement tacite, la menace d’une sanction pénale voire la contraintesont de nature à passer outreau refus de prélèvement. |
Le procès se poursuit jusqu’en cassation. La Haute Cour rejette les pourvois. Elle estime que la police était habilitée, sur réquisitions du procureur de la République, à faire procéder sous contrainte à une prise de sang dans le cadre d’une enquête de flagrance aux fins de preuve de la prise de produits stupéfiants. C’était bien le cas puisque les violences étaient flagrantes et que l’attitude des deux praticiens était pour le moins anormale.
De son côté la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) n’interdit pas le recours à une intervention médicale sans le consentement d’un suspect en vue de la constatation de la preuve de sa participation à une infraction.
La décision de la Cour de cassation a été critiquée par la doctrine juridique. Elle y voit le recul évident du principe de l’inviolabilité du corps humain.Pourtant le législateur a permis des investigations corporelles sans consentement dans des situations particulières.
Ainsi l’officier de police peut faire procéder, au besoin sous la contrainte, par un médecin ou un infirmier à un examen médical et à une prise de sang sur toute personne soupçonnée de viol ou d’agression sexuelle pour vérifier si cette personne n’est pas atteinte d’une mala-die sexuellement transmissible.
Cet examen peut avoir lieu à la de-mande de la victime ou lorsque son intérêt le justifie. Le professionnel de santé requis à cet effet doit s’efforcer d’obtenir le consentement de l’auteur des faits mais cet examen peut avoir lieu sur instruction écrite du procureur de la République.Il en est de même s’agissant de per-sonnes condamnées pour crime ou déclarées coupables d’un délit puni de dix ans d’emprisonnement. Le refus de se soumettre au dépis-tage est puni d’un an d’emprisonne-ment et de 15 000 € d’amende peine cumulée avec la peine principale (Art.706-47-1 du Code de procédure pénale).
La loi autorise des investigations corporelles nécessaires à la pour-suite de l’enquête à l’égard de per-sonnes soupçonnées de transporter dans la partie la plus intime de leur anatomie des stupéfiants. Le re-cours à un médecin requis à cet effet est alors obligatoire.
Cette fouille corporelle doit être conduite dans le respect de la digni-té de l’individu. Le refus de se soumettre à cette fouille est puni d’un an d’empri-sonnement et de 3 650 € d’amende.Aucune contrainte n’est nécessaire en pareil cas. Il suffit d’attendre.
C’est l’opinion de la Cour européenne des droits de l’homme exprimée dans un arrêt du 11 juillet 2006. Elle condamne une pratique ayant consisté à faire régurgiter de force des stupéfiants portant ainsi atteinte à l’intégrité mentale et physique de l’intéressé. Elle relève qu’il suffit d’at-tendre que le temps fasse son œuvre. L’expulsion a nécessairement lieu dans les quelques heures qui suivent
L’AUTOPSIE
L’autopsie permet à partir du corps du défunt de découvrir les causes de la mort et d’orienter l’enquête judi-ciaire. Elle est réglementée. Elle peut être demandée en dehors de toute procédure par la famille du défunt.
Elle est le plus souvent ordonnée par l’institution judiciaire en cas de mort suspecte ou de soupçon de crime.
Dans ce cas la famille ne peut s’y opposer .L’autopsie ne peut être pratiquée que par un praticien titulaire d’un diplôme attestant de sa formation en médecine légale. S’il n’y a pas ici de jurisprudence particulière à commenter ; en revanche une proposition de loi récente (n° 3803) vise à renforcer le droit des familles endeuillées confron-tées à l’autopsie judiciaire de leur proche. Il s’agit notamment pour l’autorité judiciaire d’informer dans les 72 heures les familles de ce qu’une autopsie a été ordonnée et que les prélèvements qui ne sont plus nécessaires à la manifestation de la vérité soient restitués aux fa-milles qui le demandent.
► CONCLUSION Les besoins de preuves en matière pénale ont conduit les enquê-teurs à franchir une ligne rouge en faisant montre d’une indifférence au consentement, marquant ainsi un recul évident au principe de l’inviolabilité du corps humain. Dans la majorité des cas ces prélè-vements biologiques sont acceptés en raison d’un cumul possible entre la peine sanctionnant le délit principal et celle prononcée pour le refus de prélèvement. |