LA SUPPLÉMENTATION EN VITAMINE D : QUELLE EST LA BONNE DOSE ?
PR JEAN-CLAUDE SOUBERBIELLE - SERVICE DES EXPLORATIONS FONCTIONNELLES, HÔPITAL NECKER-ENFANTS MALADES, APHP, PARIS
La vitamine D est très importante pour la croissance et la santé osseuse. À côté de ses effets classiques sur le métabolisme phospho-calcique et osseux, elle a des effets de mieux en mieux documentés sur bien d’autres fonctions. Les résultats de nombreux essais cliniques, randomisés contre placebo, qui ont testé l’effet d’une supplémentation sur différentes pathologies sont aujourd’hui disponibles.Si les résultats des analyses en « intention-de-traiter » sont souvent décevants, un effet bénéfique de la supplémentation en vitamine D chez des patients initialement déficitaires ou carencés en vitamine D a été démontré dans de nombreuses pathologies. Plutôt que de considérer que la supplémentation en vitamine D réduit le risque de développer ou d’aggraver certaines pathologies, il semble plus approprié de considérer que l’hypovitaminose D est un facteur de risque indépendant pour ces pathologies. Cette proposition peut paraître n’être qu’un élément de langage mais elle doit avant tout inciter à éviter cette hypovitaminose D plutôt qu’espérer des bénéfices d’une supplémentation chez des sujets non déficitaires en vitamine D. On remarquera que contrairement aux principaux facteurs de risque de nombreuses maladies chroniques qui ne sont pas modifiables (âge, comorbidités) ou qui le sont difficilement (obésité, abus d’alcool ou de tabac...), l’hypovitaminose D est, elle, très facilement modifiable par une supplémentation. Le but est donc de faire en sorte que tout le monde ait un statut vitaminique D (des réserves en vitamine D) optimal (ni trop bas ni trop haut) (encadré 1). Plusieurs grandes études épidémiologiques ont montré qu’en population générale, environ 10-15 % des Français ont une concentration de 25-hydroxy-vitamine D (25OHD) < 12 ng/mL, 40-50 % ont une 25OHD < 20 ng/mL et 75-80 % ont une concentration inférieure à 30 ng/mL1.
Pr Souberbielle, votre expérience de spécialiste du métabolisme phosphocalcique intéresse les rhumatologues libéraux qui souhaitent connaître vos conseils concernant l’utilisation de la vitamine D.
‣ Quels sont les apports en vitamine D qui per-mettent d’obtenir une concentration de 25OHD > 20ng/mL mais <60 ng/mL ?
En 2016, l'Agence européenne des aliments (EFSA) a éta-bli des nouveaux apports en vitamine D, plus élevés qu’au-paravant, de 15 μg/J (600 UI) pour tout le monde et 10 μg/J pour les nourrissons. Selon l’EFSA, cet apport, qua-siment impossible à atteindre par la seule alimentation, permettrait à presque tous les Européens d’atteindre une 25OHD sérique de 20 ng/mL au moins
(http://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/consultation/160321.pdf).
Cette augmentation des apports conseillés, bien que déjà très significative, s’est révélée très insuffisante suite à la publication de plusieurs méta-analyses qui ont utilisé la méthodologie considérée consensuellement comme la meilleure actuellement et dite en « IPD » (pour « Indivi-dual Patient Data »). Il s’agissait de combiner les résultats de différents essais randomisés où l’effet sur la 25OHD sérique de doses quotidiennes variées a été évalué. Les concentrations individuelles de 25OHD, toutes mesurées avec la méthode de référence afin d’éliminer le problème de la variabilité inter-méthodes des dosages de 25OHD, étaient disponibles pour tous les participants. Les prin-cipaux résultats de ces études montrent que pour que 97,5 % des sujets des populations considérées aient une concentration > 20 ng/mL (50 nmol/L), les apports quoti-diens en vitamine D doivent au minimum être de 1200 UI (30 μg) chez les Européens caucasiens non en surpoids2ainsi que chez les femmes enceintes caucasiennes3, et multipliés par 2 à 3 chez les obèses4. Ils ont par ailleurs été calculés à 2672 UI (66.8 μg) chez les sujets à peau pigmentée originaires d’Afrique sub-saharienne ou du sous-continent indien et vivant en Europe au-dessus de 40° de latitude5.
‣ Quels sont les apports à ne pas dépasser en l’ab-sence de surveillance médicale ?
La recommandation largement acceptée est de ne pas dépasser des apports de vitamine D supérieurs à 4000 UI/J (100 μg) chez quelqu’un dont on ne connaît pas la 25OHD sérique. Chez certains patients dont on aura me-suré une concentration de 25OHD basse, des doses plus élevées peuvent être prescrites transitoirement afin de rapidement revenir à un statut vitaminique D satisfai-sant (voir plus loin).
‣ Faut-il supplémenter tout le monde (ou personne) en population générale ?
Comme indiqué plus haut, une petite moitié de la popula-tion générale a une 25OHD <20 ng/mL et le dosage de la 25OHD n’est pas recommandé (ni remboursé) en popula-tion générale. Il est légitime alors de se poser la question de (ou d’être réticent à) prescrire ou ne pas prescrire de vitamine D chez quelqu’un dont ne connaît pas la concen-tration de 25OHD. Si on propose une supplémentation à tout le monde, elle sera probablement inutile pour les su-jets ayant déjà un statut vitaminique D satisfaisant. Si au contraire on ne supplémente personne, on pénalisera en-viron l’autre moitié de la population. Une solution simple pourrait (devrait ?) être de cibler une supplémentation chez les sujets qui présentent un ou plusieurs facteurs de risque de déficit en vitamine D listés dans l’encadré 2,
en se souvenant que la période « froide » (novembre-dé-but avril) est un facteur de risque majeur de déficit en vitamine D pour tout le monde.
‣ Une supplémentation quotidienne avec des pe-tites doses est plus efficace qu’une supplémentation intermittente avec des fortes doses.
Comme l’adhérence aux doses journalières de vitamine D, surtout lorsqu’elles sont associées à du calcium, est souvent faible, la prescription de fortes doses adminis-trées de manière intermittente (le plus souvent par une ampoule de 100000 UI de vitamine D3 tous les 2-3 mois) a été pendant longtemps la solution la plus souvent choisie en France avec, en particulier, l’idée de favoriser l’observance. En 2010, une grande étude d’intervention chez des femmes âgées fragiles a montré qu’une dose annuelle de 500000 UI de vitamine D3 administrée pen-dant 4 ans avait augmenté le risque de fractures et de chutes par rapport à un placebo6. Suite à ce résultat, cer-tains experts avaient, dans des articles déjà anciens, re-commandé d’écarter la supplémentation intermittente au profit d’une supplémentation quotidienne7,8. Ce qui nous a toutefois le plus interrogés ce sont les résultats de différentes méta-analyses évaluant l’effet d’une sup-plémentation en vitamine D sur la force musculaire9, la mortalité par cancer10, la baisse de la pression artérielle chez des patients à la fois hypertendus et déficitaires en vitamine D11 ou le risque d’infections respiratoires12qui ont rapporté un effet bénéfique d’une supplémen-tation quotidienne mais pas en fortes doses espacées. Des revues de la littérature récentes proposent une explication pour ce meilleur effet de la supplémenta-tion journalière13,14. Il a été clairement démontré que, contrairement à la supplémentation journalière avec une dose modérée, la prise ponctuelle d’une forte dose de vitamine D stimule fortement l’expression sur le long terme de la 24-hydroxylase, l’enzyme qui catalyse la transformation de la 25OHD en 24,25(OH)2D ainsi que la transformation de la 1,25(OH)2D en 1,24,25(OH)3D correspondant à la première étape de la principale voie d’inactivation de la vitamine D et identifiée comme un moyen que l’organisme met en jeu pour se défendre contre un excès de vitamine D. Une forte dose de vita-mine D stimule également la synthèse de FGF23, une hormone hypophosphatémiante qui, elle aussi, a un effet d’inactivation de la vitamine D par son effet d’inhi-bition de la synthèse de 1,25(OH)2D
‣ Propositions de supplémentation pour différentes situations (de la théorie à la pratique)
Il faut à mon avis privilégier les formes pharmaceu-tiques plutôt que les compléments alimentaires à moins d’avoir pour ces derniers l’assurance d’un contrôle de qualité équivalent à celui des formes pharmaceutiques. On choisira préférentiellement la vitamine D3 plutôt que la vitamine D2, surtout si des fortes doses intermittentes sont utilisées. L’accès à des formes pharmaceutiques adaptées à une supplémentation journalière est hélas très limité aujourd’hui en France où nous avons le choix entre des gouttes de vitamine D3 (1 goutte=300 UI ou 333 UI) ou de vitamine D2 (1 goutte=400 UI) ou des com-binaisons calcium/vitamine D3 parmi lesquelles la plus pertinente propose des comprimés contenant 1000 UI de vitamine D3 et 500 mg de calcium (les autres sont trop déséquilibrées avec trop de calcium par rapport à pas assez de vitamine D). On a vu plus haut les apports nécessaires pour que la majorité de la population générale ait une 25OHD entre 20 et 60 ng/mL (1200 UI/J, le double au moins chez les obèses et les personnes à peau pigmentée), ce qui pour-rait se traduire, sans dosage préalable de la 25OHD, par 4 gouttes/J de vitamine D3 ou, en cas d’apports cal-ciques faibles (<500 mg/J), un comprimé à 1000 UI de vitamine D3 et 500 mg de calcium avec le conseil d’une alimentation riche en aliments contribuant aux apports vitaminiques D (poissons gras marins, jaune d’œuf...) ou « fortifiés » en vitamine D. Des nouvelles formes pharmaceutiques sous forme de capsules molles seront bientôt disponibles (https://www.has-sante.fr/jcms/p_3313592/fr/uvecaps-1-000-ui-et-20-000-ui-colecalciferol). La supplémentation la plus appropriée sera alors d’une ou deux capsules molles à 1000 UI de vitamine D3/J. Dans le cas d’une mauvaise accep-tation d’une supplémentation journalière, on peut pro-poser une supplémentation intermittente avec la plus petite des fortes doses disponibles aujourd’hui : 50 000 UI/mois entre novembre et avril, et 50 000 UI/mois toute l’année chez ceux qui ne s’exposent pas au soleil ou qui portent des vêtements couvrants ou qui ont une peau très pigmentée, voir 50 000 UI/quinzaine toute l’année chez les obèses. Des capsules molles à 20000 UI seront bientôt disponibles et il sera alors plus adapté de prescrire une capsule molle à 20000 UI/quinzaine entre novembre et avril et 20000 UI/semaine ou par quinzaine toute l’année pour ceux ou celles qui présentent un ou plusieurs facteurs de risque d’hypovitaminose D (voir encadré 2). Chez les patients ostéoporotiques ou à fort risque d’ostéoporose et plus globalement chez les patients chez qui on pré-fère une concentration sérique de 25OHD > 30 ng/mL (voir encadré 1), on ne peut que conseiller d’utiliser les recommandations du GRIO15 qui, toutefois, devront pro-bablement être actualisées lorsque les nouvelles formes pharmaceutiques seront disponibles (encadré 3)
Liens d’intérêt dans les 3 années précédentes : interventions ponctuelles (conférences) à la demande de DiaSorin, Effik, Mylan, Viatris |
RÉFÉRENCES
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