JEAN GUIGUE - PRÉSIDENT HONORAIRE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BOBIGNY ANCIEN PROFESSEUR ASSOCIÉ À L’UNIVERSITÉ DE PARIS XIII
Si la plupart des dommages consécutifs à un acte de soins se règlent par une indemnisation, certaines fautes relèvent en raison de leur gravité soit de la loi pénale soit du régime disciplinaire. La faute pénale est du domaine de la loi tandis que la faute disciplinaire fait l’objet d’un décret (Code de déontologie médicale art.R.4127-1 et sts). Tandis que la faute pénale sanctionne un comportement antisocial, la faute disciplinaire a un objectif plus spécifique dès lors qu’elle n’a pour but que de sanctionner un manquement déontologique.
DOMAINES D’APPLICATION
En matière de responsabilité médicale le Code pénal ne contient pas de dispositions réservées au monde médical contrairement au Code de la santé publique ou au code de déontologie médicale. Cepen-dant, tous dommages corporels ou psychologiques de quelque nature pourront donner lieu à une sanction pénale en vertu des articles 222-19 et suivants du Code pénal peu important la qualité du responsable et les circonstances dans lesquelles le dommage s’est produit. La respon-sabilité pénale doit toutefois être fondée sur un texte précis. Pas de responsabilité pénale sans texte. Un médecin peut être condamné pénalement pour blessures par impru-dence mais ne peut l’être que civilement pour défaut d’information faute d’un texte érigeant cette faute en infraction pénale.
Nous estimons cependant que mises à part des fautes graves telles que blessures volontaires ou abstention de porter secours, les dommages pouvant résulter d’une maladresse ne devraient pas faire l’objet de pour-suites pénales et se régler par la voie civile (Colloque de l’association fran-çaise de droit de la santé - Lyon, mars 2005. Observations Jean Guigue).
Les médecins hospitaliers ne sont pas épargnés. Ils relèvent en cas de faute pénale des mêmes textes que leurs confrères libéraux. En revanche, sauf faute détachable de leur fonction, ils ne peuvent être condamnés que civilement.
La faute disciplinaire peut donner lieu à une sanction pour violation des principes rappelés dans le code de déontologie. Ce code énonce des règles de bonne conduite à respec-ter dans l’intérêt du patient : four-nir une information loyale, élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, ne pas prescrire un procédé illusoire… Cette liste n’est pas limitative. Le conseil peut prendre des sanctions contre un médecin dont le comportement est incompatible avec sa mission : agression sexuelle, escroquerie…
En cas de condamnation la sanction ne pourra être qu’un avertissement, un blâme, une interdiction d’exercer la médecine avec ou sans sursis et dans les cas les plus graves la radiation du Tableau de l’Ordre.
DES PROCÉDURES INDÉPENDANTES
La procédure judiciaire et l’instance disciplinaire sont parfaitement indépendantes l’une de l’autre et cette indépendance peut parfois surprendre un non initié. L’auteur de ces lignes a le souve-nir d’un médecin qui avait du mal à admettre que, blanchi par le conseil de l’Ordre, il devait répondre de ses fautes devant le tribunal correctionnel.
Des procédures indépendantes, parfois saisies des mêmes faits
Ainsi un médecin coupable d’euthanasie peut être acquitté par une cour d’assises et cependant condamné par l’Ordre sur le fondement de l’article R.4127-38 du code de déontologie médicale qui interdit de donner la mort.
Il n’empêche que les deux juridic-tions vont devoir statuer sur les mêmes faits, circonstance qui est susceptible d’entrainer des contradictions. Généralement, lorsqu’une juridiction civile doit rendre une décision dont va dépendre l’application d’un acte réglementaire elle sursoit à statuer dans l’attente de l’interprétation de l’acte administratif par le tribunal administratif. Rien de tel ici. Le conseil de l’ordre n’est pas tenu d’attendre le jugement du tribunal correctionnel statuant sur des faits identiques pour rendre sa décision.
Les deux juridictions peuvent être saisies alternativement ou dans le même temps. Toutefois afin d’éviter des contradictions entre les décisions rendues de part et d’autre, la juridiction disciplinaire doit respecter la matérialité des faits retenus au pénal. Elle a cependant le pouvoir de les qualifier au regard du code de déontologie.
Dans son arrêt du 11 octobre 2017, le Conseil d’État précise : « si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d’un jugement ayant acquis force jugée s’imposent à l’administration comme au juge disciplinaire, la même autorité ne saurait s’attacher aux motifs d’un jugement d’acquittement tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou qu’un doute subsiste sur leur réalité ; il appartient dans ce cas au juge disciplinaire d’apprécier si les faits, qui peuvent d’ailleurs, être différents de ceux qu’avait connus le juge pénal, sont suffisamment établis et, dans l’affirmative, s’ils justifient l’application d’une sanction ».
LES SANCTIONS
Les sanctions prononcées par les tribunaux sont généralement des peines d’emprisonnement avec sursis ou de simples amendes pénales auxquelles s’ajoutent des dommages et intérêts en réparation du dommage.
Les sanctions pénales et disciplinaires peuvent se cumuler
De même à l’instar de la juridiction disciplinaire le juge peut prononcer une interdiction temporaire d’exercer la médecine lorsque le délit reproché au médecin est puni d’une peine d’emprisonnement. Cette interdiction peut être d’une durée de cinq ans au plus (Art. 131-6 du Code pénal). La méconnaissance de cette interdiction expose à des poursuites du chef d’exercice illégal de la médecine. Il s’ensuit l’interdiction de se faire remplacer pendant la période considérée.
Ainsi, un médecin qui administrait à ses patients un vaccin dont la délivrance était interdite en France a fait l’objet de la part du conseil national de l’Ordre des médecins d’une interdiction d’exercer la médecine pendant dix-huit mois. Ayant continué à exercer sa profession pendant la durée de l’interdiction, il a été condamné par le tribunal correctionnel pour exercice illégal de la médecine (Cass. 23 juillet 1987).
Les sanctions disciplinaires peuvent faire l’objet d’un recours devant le conseil d’État.
LES PROCÉDURES DE RELÈVEMENT
Plusieurs textes permettent au médecin faisant l’objet d’une interdiction définitive d’exercer de retrouver la possibilité de reprendre ses activités professionnelles.
Ainsi le médecin condamné pénalement peut présenter une requête en relèvement sur le fondement de l’article 132-21 du Code pénal et 703 du Code de procédure pénale. Cette requête doit être présentée à la juridiction qui a prononcé l’incapacité d’exercer dans un délai de six mois après la décision initiale de condamnation (Cass. Crim. 31 mai 1994).
L’article L. 4124-8 du Code de la santé publique offre la possibilité d’un relèvement au médecin radié du tableau. Sa demande présuppose qu’un intervalle de trois ans se soit écoulé depuis la décision définitive de radiation du tableau. Cette demande doit être adressée par requête au président du conseil départemental de l’Ordre intéressé. Si la demande est rejetée une nou-velle demande peut être déposée dans les trois ans.
Les textes instituent une procédure identique en cas d’interdiction de donner des soins aux assuré sociaux.
La décision relevant un médecin de l’incapacité résultant de sa radiation a seulement pour effet de lui donner vocation à obtenir une nouvelle inscription au tableau de l’Ordre des médecins dont il relevait avant sa radiation ou d’un autre ordre départemental sans lui ouvrir le droit à cette inscription. Il appartient à l’ordre sollicité d’apprécier si le praticien remplit les conditions requises en tenant compte de l’ensemble des faits portés à sa connaissance à l’exception de la sanction disciplinaire dont il a fait l’objet (Conseil d’État - 8 juillet 1998).
CONCLUSION
Depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002, les poursuites pénales contre les médecins se font plus rares. Le législateur et la jurisprudence ont su trouver un juste équilibre entre faute pénale et faute disciplinaire, toutes deux répondant à des objectifs différents.
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.